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Medizinische Flüchtlingshilfe Bochum e.V.

Gerechtigkeit heilt –
Der internationale Kampf gegen Straflosigkeit

Internationaler Kongress vom 14. bis 16. Oktober 2005

Simon Gasibirege
Psychologue et Professeur à l’Université Nationale du Rwanda

Pour une justice alternative de type participatif et à visée réconciliatrice : les juridictions-gacaca "

INTRODUCTION

        Le génocide des tutsi du Rwanda (1994) a connu une participation massive de la part des populations sur toute l’étendue du pays (Kimonyo J.P., 2000). Il s’est caractérisé par la transgression de toutes les valeurs, de tous les tabous et de toutes les normes universellement respectées ! On a vu des hommes tuer leurs femmes, des oncles assassiner leurs neveux et nièces, des bandes de tueurs massacrer des vieilles femmes, des handicapés et des fous, violer en bande des mères et des filles devant les maris et les enfants…Les lieux tels que les églises, les maisons communales, les asiles pour fous, les hôpitaux… n’ont pas été respectés ; on y a tué et massacré. Il résulte d’un processus étalé  sur plusieurs décennies de division ethniste et l’impunité (Braeckman C. 1994, Chrétien J.P. (dir.) 1995, Prunier G. 1997, Reyntjens F. 1994). « Un des problèmes fondamentaux que pose ce genre de crimes, c’est qu’ils sont commis et ne peuvent être commis que sous le couvert d’une loi criminelle et par un Etat criminel » (Arendt H. 1961, p .423).
Quelques générations d’hommes politiques ont transformé l’Etat et des populations en criminels. « Le problème majeur est [alors] : la recherche et l’application d’un système judiciaire contextualisé  qui ne crée pas de nouvelles fractures sociales et individuelles » (Rutayire P. 1992, p.57 ; souligné dans le texte).

1. Position du problème

    Comme il appert clairement, le contexte social dans lequel le génocide des Tutsi au Rwanda a été perpétré soulève des questions tellement importantes et radicales à la justice. Il s’est avéré nécessaire de chercher parmi les formes alternatives celle qui permet de « rétablir une loi humaine en tant que préservatrice de la vie et réparatrice du mal qui a été fait » (Ficher G.-N. 2003, p.173).

Les questions soulevées peuvent se ramener aux suivantes :

2. Orientation générale

        Au Rwanda, d’avril à juillet 1994 un peu plus d’un million de Tutsi ont été massacrés par des foules d’autres Rwandais parmi lesquels les Hutu formaient la majorité de gens s’identifiant comme tels. Les conditions dans lesquelles se sont faites les mises à mort se distinguent par une terrifiante cruauté et une volonté de destruction incroyablement obstinée.

        Le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994 n’est pas un crime contre l’humanité commis par des individus isolés, par un groupe de hors- la – loi ou de psychopathes connus et reconnus comme tels. Il a envahi toute la société et transformé une partie des Rwandais en bourreaux et une autre en personnes condamnées à une mort ignominieuse. Sa mise en exécution s’est faite au vu et au su de tous les médias du monde. Elle s’est révélée avoir fait l’objet d’une préparation minutieuse non seulement des opérations mais aussi des esprits et des cœurs.

        A la vérité, il s’agit d’un génocide qui est un symptôme d’une profonde détérioration non seulement des personnalités individuelles mais aussi  d’une société entière, de sa culture, de son histoire et de l’état du monde avec lequel cette société entretient des relations normales. Il s’agit d’un crime contre l’humanité non seulement des individus mais aussi des sociétés et pose, par conséquent, la question terrifiante de leur capacité de former l’humanité de leurs membres, de la protéger et de la développer en chacun d’eux.

        Dans ces circonstances la justice prend une autre signification et revêt un autre sens. Elle ne concerne plus quelques individus qu’il faut ramener à l’ordre ou mettre en dehors d’état de nuire, mais d’une portion gigantesque de la société quasi entière. La société implosée est à rebâtir à partir de pratiquement zéro. Il en est de même de sa culture, de son histoire  et de ses relations avec le reste du monde. C’est dans  cette perspective que le génocide des Tutsi du Rwanda disqualifie la justice qui est au service d’une société déjà organisée et de la protection de son fonctionnement. Il appelle un autre type de justice, d’une justice pouvant contribuer à la ré-organisation d’une société détruite par implosion.

        Parler de justice alternative prend ici le sens le plus fort : celui non pas d’une alternative portant  sur quelques aspects mais celui d’une alternative radicale. La justice change de nature. Elle ne se situe plus dans l’ordre du fonctionnement  du contrat social et de sa préservation mais dans celui de la contractualisation même du lien social et de la négociation de l’identité humaine commune. Il s’ensuit qu’une telle justice alternative implique  tout le monde et requiert la participation de tous les membres de la société en lambeaux. La reconstruction mise en route ne peut à son tour acquérir de la consistance que si en même temps se met en route un processus de réconciliation de chaque personne avec elle – même et avec les autres, de tous les membres de la société avec la culture et l’histoire, de toute la société avec elle-même.

3. Principes d’une justice alternative

        Il apparaît clairement que les conditions de l’exercice  de la justice telle qu’elle existe dans les sociétés modernes des pays occidentaux ne sont pas remplies dans le Rwanda de l’après-génocide. La situation qui prévaut est celle du vide voire du néant laissé par la mort non seulement des victimes du génocide, mais également de la société, du tissu psychosocial et de l’humain dans les hommes. La mission de la justice n’y est pas en l’occurrence de dire la loi (elle aussi morte, car pervertie en loi criminelle), mais de jeter des bases d’une société nouvelle  (nouveau contrat de société), en aménageant un espace de communication sociale (tissu psychosocial) et en créant des conditions de communication et de solidarisation dont peuvent émerger un autre être humain et une société nouvelle.

        Il y a de nouvelles fonctions assignées à la justice, mais celle-ci ne peut pas les rencontrer sous sa forme judiciaire et classique. Il s’avère nécessaire de repenser la justice à nouveaux frais, de lui donner une autre structure et de lui insouffler une logique de fonctionnement spécifique. « Le principe de base est que le bien-être de la communauté et de la restauration de la paix et de l’harmonie sont des valeurs fondamentales qui doivent figurer  dans le processus de la justice. Remarquons que c’est ce principe qui a guidé la politique de la réconciliation de Mandela. Le  but recherché est clair : la guérison totale de l’offensé, de l’offenseur et de la communauté et non la rancœur » (Rutayisire P. 1998, p.59 ; souligné dans le texte).
        L’enjeu de la justice au Rwanda n’est pas seulement l’individu au détriment de la communauté comme dans le cas  de la justice judiciaire classique. L’individu a été ensauvagé et désocialisé, criminalisé et désaxé ou désorienté, laissé à ses pulsions et sans repères. La communauté a vu ses membres montés les uns contre les autres ; elle est traversée par des contradictions multiples et variées, générées par la libération des pulsions de mort et de sexe, de possession et de domination. Il importe de récréer du lien social, de l’identité d’appartenance, des repères et une loi humaine qui met la bride aux pulsions. Ce n’est pas à la seule justice qu’il revient de faire cela, mais il lui appartient d’y contribuer de façon déterminante. Elle est l’un des piliers fondamentaux de la société nouvelle à construire et il revient aux sociétés politique (pouvoir politique) et civile (pouvoir éthique) de l’édifier ensemble.
        « La justice rétributive perpétue un haut niveau de crime et renforce la rupture entre la loi et l’ordre. Elle se déroule dans une opposition entre la justice de l’Etat et la justice communautaire. Or, la justice de l’Etat est une justice imposée, punitive et hiérarchisée. Tandis que la justice communautaire est une justice négociée et restitutive. […] La révolution à faire est de passer des structures qui génèrent la violence aux structures qui favorisent la cohésion, de la conception punitive et vengeresse à celle de la guérison et du pardon » (Rutayisire P. 1998, p.62-63).
En d’autres mot la justice dont le Rwanda a besoin est de « retrouver une philosophie qui passe de la punition à la reconstruction, de la vengeance contre les offenseurs à la guérison (healing) de la victime et de l’offenseur, et qui tient compte à la fois des émotions et des sanctions », (Rutayisire P. 1998, p. 63). Il s’agit d’une justice qui se laisse interpeller et travailler  par la dynamique psychosociale, politique et culturelle, d’une justice qui bouge et évolue avec les besoins des communautés et de leurs membres.

        En résumé la justice alternative requise par le Rwanda doit obéir aux principes qui répondent aux trois questions  constitutives du problème rencontré par la justice judiciaire classique.
- donner priorité à la communauté qui façonne les individus et contribuer à sa reconstruction.
- aménager des conditions qui permettent aux individus de prendre une part active à la reconstruction de leur communauté et de réapprendre la loi humaine et la justice, le lien social et la gestion des conflits et des sentiments.
- aménager des conditions qui contribuent à la guérison des blessures individuelles et communautaires et facilitent la rencontre avec soi-même ainsi qu’un processus de réensemencement de l’humain.

        Le Rwanda a opté pour une justice alternative de type participatif et à visée réconciliatrice et adopté les juridictions – gacaca. Voyons dans quelle mesure celles-ci obéissent aux principes qui viennent d’être énoncés.

4. Les juridictions – gacaca : justice alternative de type participatif et à visée réconciliatrice

        Le mot « gacaca » désigne le gazon qui pousse devant les maisons et dans lesquels les gens aiment s’asseoir pour deviser ensemble ou pour débattre des questions importantes concernant la communauté. Il n’a rien d’un tribunal avec ce qu’il véhicule de peur, de sévérité et de solennité. Il s’agit plutôt d’un espace public à taille humaine, ouvert mais protégé par toute la symbolique sociale dont il est entouré, surtout quand c’est les chefs de familles (de la communauté) qui y siègent pour trancher des questions graves pour la survie de la communauté.

        Les juridictions – gacaca s’inspirent de l’institution sociale traditionnelle appelée ‘’gacaca’’et de la justice judiciaire clanique. Elles ont promu la formalisation de la pratique communautaire traditionnelle qui ne faisait pas une distinction tranchée entre la gestion des conflits et la justice punitive et rétributive. Elles ont abandonné un certain nombre de règles de la procédure judiciaire quant à l’instruction et à la défense. Elles ont donné le pouvoir d’instruire et de juger non plus à des professionnels du droit mais à des citoyens estimés dignes de le faire et élus pour le faire.
Elles ont donné lieu à une large consultation et à un débat ardu et passionné entre les promoteurs de la ‘’déprofessionnalisation’’ et de la  ‘’déjudiciarisation’’ de la justice du génocide et les tenants de la justice judiciaire classique. En bénéficiant d’une défense décidée de la part du pouvoir public (Etat), elles relèvent d’une option politique fondamentale pour l’unité et la réconciliation des Rwandais. Leur enracinement dans la tradition culturelle rwandaise a été un facteur décisif pour leur accueil favorable par l’ensemble de la population (Gasibirege S., 2001,2002, Liprodhor 2000).

        D’aucuns ont dit à tort que les juridictions – gacaca relevaient d’une ‘’justice populaire’’. Il n’en est rien, car elles s’appuient sur des règles précises. Mais elles ont plutôt donné la prévalence à la communauté pour lui permettre de se reconstruire. Elles n’ont pas davantage cédé à la dilution de l’individu dans la communauté, car elles ont consacré la responsabilité individuelle et la catégorisation, l’aveu et la plaidoirie de culpabilité. Même si les conditions de leur fonctionnement vont induire de grandes difficultés et quelques dysfonctionnements, il importe de bien comprendre l’option philosophique qui les commande et l’orientation philosophique qu’elles véhiculent et qui font d’elles une justice alternative véritable.

        A l’instar de l’institution traditionnelle gacaca les juridictions – gacaca remplissent 4 fonctions qui régulent la dynamique psychosociale, politique et culturelle.
1°  -  rassembler (guhuza) les membres de la communauté
2°  révéler la vérité (guhanura) sur les tenants et aboutissants d’un conflit opposant des membres de familles différentes.
    - En d’autres termes construire la vérité comme un bien commun édifié ensemble et faisant vivre la communauté et ses membres.
3°  sanctionner (guhana) : établir les responsabilités des uns et des autres dans le conflit et les dommages qu’il a occasionné non seulement pour les individus mais aussi pour les familles et toute la communauté.
- en d’autres termes innocenter les innocents et punir les coupables.
4° réconcilier (kunga) : ne pas s’arrêter aux sanctions, mais rétablir et raviver la paix et l’harmonie, donner du sens au règlement du conflit en se retrouvant tous ensemble pour régler le conflit, évoquer la bonne entente d’antan, prendre la résolution d’aller de l’avant et se donner des gages réciproques que l’on va marcher effectivement dans le sens indiqué.

Les juridictions – gacaca ont repris les 4 fonctions à travers leurs objectifs et certaines de leurs dispositions légales.
1° - elles rassemblent tous les citoyens âgés de 18 ans et plus de la cellule (circonscription administrative de base et dont le rayon est tel que ses habitants se connaissent tous suffisamment) 
- le devoir de témoignage n’est pas seulement une obligation morale, mais aussi légale, car des sanctions sont prévues pour celui qui ne témoigne pas en vue d’éclairer la communauté.

2°   le premier objectif leur assigné est que  la population peut seule ‘’relater les faits, révéler la vérité et participer à la poursuite et au jugement des auteurs présumés ‘’
3°   une bonne partie de la loi instituant les juridictions – gacaca est consacrée aux    délits et peines ou sanctions.
4°  à côté des objectifs proprement juridiques existe un ensemble d’objectifs d’ordre social, politique et culturel : éradiquer la culture de l’impunité, promouvoir l’unité et la réconciliation, puiser dans le patrimoine culturel des éléments susceptibles d’aider à faire face aux difficultés, enfin donner l’occasion aux Rwandais de résoudre eux-mêmes leurs problèmes.

        A la vérité, les juridictions gacaca obéissent dans leur conception aux principes de base de la justice alternative requise par la dynamique historique de la société rwandaise. Elles tracent un cadre approprié pour :
- reconstruire les communautés et y restaurer la coexistence pacifique, la paix, l’unité et la réconciliation, l’harmonie et la concorde sociales : en aménageant un espace de communication et de solidarisation,
- retisser  le lien social, et refaire le tissu psychosocial en apprenant à parler ensemble de tout ce qu’ils ont vécu et qui les a opposé : en respectant des règles précises et en remettant des valeurs en circulation dans les communautés,
- guérir l’offensé et l’offenseur grâce à la vérité révélée, à l’établissement des responsabilités et à l’échange des pardons : en réhumanisant les relations et la parole échangée, en retrouvant des valeurs et en reconstruisant des identités…

L’on ne peut pas manquer de se demander au demeurant dans quelle mesure ces principes résistent aux contraintes multiples et variées de la réalité et sont mis en action.

5. Les juridictions – gacaca à l’épreuve de la réalité psychosociojuridique, politique, économique et culturelle

        Le grand enthousiasme manifesté lors des enquêtes des années 2000 à 2002 (Gasibirege S. 2001, 2002, Liprodhor 2000) a cédé le pas à la peur, au louvoiement devant la vérité, à l’absentéisme aux séances des juridictions – gacaca… depuis les phases pilotes en 2003 voire depuis le milieu des années 2002. Les quelques résultats de recherche, d’enquête et de sondage d’opinion donnent une idée de la dynamique psychosociojuridique, politique, économique et culturelle qui travaillent le fonctionnement des juridictions – gacaca.

        ‘’ Un grand nombre de personnes rencontrées s’inquiètent au sujet de la vérité qui est attendue des Rwandais. Ils se déclarent disposés à participer aux assises des juridictions – gacaca, mais elles disent buter à la question de la vérité et de la sincérité arguant que les Rwandais sont habitués à mentir et à médire ‘’ (Gasibirege S.,2002, p.62).  La peur est responsable d’une telle attitude et de bien d’autres chez les gens.
‘’ Tous ont peur pour plusieurs raisons : la peur d’être dénoncé, la peur des conséquences des témoignages à charge des parents, des frères, des amis et des voisins,la peur d’être maltraité, voire d’être tué pour cela, la peur d’être traumatisé, la peur d’avoir des désagréments inattendus multiples et variés, la peur que les juridictions – gacaca n’atteignent pas leurs objectifs ‘’ (ibid.).

        En février 2004, un sondage a été effectué dans certaines cellules de la Ville de Kigali sur les problèmes que rencontrent les juridictions – gacaca au niveau des cellules et éventuellement des solutions proposées à ce sujet. Sept problèmes majeurs ont été considérés comme des obstacles entravant le bon fonctionnement des juridictions – gacaca dans la Ville de Kigali :  le manque de participation de la population aux séances, l’insuffisance des témoignages ou leur caractère superficiel, l’absence de rémunération des juges , le manque de temps à cause des autres activités et obligations et la coïncidence de gacaca avec d’autres programmes, l’insécurité et l’intimidation des témoins, l’incompétence réelle ou feinte de certains juges, enfin le manque d’endroit favorable pour la tenue des réunions de gacaca.

        Au début du mois de septembre 2005, s’est tenu un atelier participatif organisé par La Benévolencija Rwanda en collaboration avec les partenaires locaux en matière de justice et de réconciliation. Son rapport fait état de problèmes observés dans les juridictions-gacaca. Dix problèmes ont été inventoriés au titre d’obstacles au bon fonctionnement des juridictions-gacaca et appellent une intervention. Il s’agit des points suivants : les détentions préventives, la peur des accusés, des juges, des témoins et des victimes, le non-respect de la loi, la capacité limitée de monitoring, l’ingérence des autorités administratives, l’indemnisation pour les victimes et pour les personnes innocentées ainsi que l’absence de rémunération des juges, le notion de présomption d’innocence, des mécanismes associatifs   pour délayer Gacaca, les débordements et enfin la non–participation.

        Quelle est l’ampleur de ces problèmes relevés dans 5 provinces en 2002 (Gasibirege S, 2002), dans la ville de Kigali (2004) et à travers le pays (2005) ? Quelle est leur distribution précise dans la population et les communautés locales ? A ma connaissance, aucune étude quantitative fiable n’a encore été publiée à ce sujet. Il est par conséquent difficile si pas impossible de se prononcer avec nuance et autorité sur les tendances importantes qui se dessinent dans le fonctionnement des juridictions-gacaca. Mais les problèmes qui constituent le défi majeur pour ces dernières  sont liés aux changements survenus dans la société rwandaise.

Mention peut être faite des principales transformations qui suivent :
- l’effondrement des valeurs qui donnaient la primauté à la communauté, à l’harmonie et à la concorde entre ses membres, à l’unité et à la réconciliation, à la vérité quand il en allait de l’intérêt général commun.
- la délégitimation du pouvoir traditionnel et la lutte pour le pouvoir qui se déroule dans un certain vide des valeurs et des normes.
- l’apparition d’idéologie destructrice,basée sur les ethnies et les régions, opérant par la naturalisation des idées politiques et la falsification de l’histoire.
- l’entrée du Rwanda dans le concert des nations par une mauvaise porte (la colonisation) et au mauvais moment (rivalité des puissances)
- le génocide qui est la résultante du mauvais concours  de tous les facteurs défavorables à l’édification pacifique d’une société nouvelle
- la libération des pulsions et leur expression délirante généralisée dans toute la société à l’occasion du génocide (1994) et les infiltrations terroristes qui ont ravagé l’Ouest et le Nord du pays jusqu’en 1999.

        Les juridictions-gacaca correspondent à une intuition profonde et largement partagée des Rwandais confrontés au défi de la reconstruction d’une société humaine après la tragédie du génocide. Cela ressort des recherches qui les ont précédées et de celles qui les accompagnent. Parfois la tâche semble être au dessus des forces des Rwandais et les difficultés sèment parfois le doute chez leurs amis et autres bailleurs de fond, voire chez certains rwandais eux-mêmes. Mais il s’agit d’un long processus, avec ses hauts et ses bas. Malgré tout les bâtisseurs de la société de demain maintiennent le cap, en apportant des corrections qui s’avèrent nécessaires et en croyant dans le bien-fondé de leur option alternative en matière de justice  du génocide.

CONCLUSION / OUVERTURE

        Ce qui vient d’être dit n’appelle pas de conclusion mais une ouverture et des raisons de continuer. La longue citation de Ch. Villa – Vicensio qui suit permet de faire les deux : conclure quant au passé et ouvrir sur l’avenir.
        ’’ Cependant, ces limites ne doivent pas excuser l’inaction, l’idéalisme naïf ou des retards injustifiés pour remédier à certains problèmes qui peuvent être résolus – ne serait-ce que de façon partielle ou approximative. La réconciliation et les initiatives transitoires de justice sont de nature à faire une différence.

        La justice transitionnelle, la réconciliation et la construction d’une nation impliquent de maintenir de fragiles équilibres et de répondre à un certain nombre de nécessités spécifiques. Ainsi, il convient:
- d’affirmer les idéaux des droits de l’homme tout en s’assurant que la société en transition ne retombe pas dans une situation de guerre civile.
- de tenir ceux qui ont commis des violations des droits de l’homme pour responsables de leurs actes sans fermer la porte à leur participation à la construction d’une nouvelle société.
- de répondre aux attentes des victimes tout en prenant en compte les besoins de la communauté tels que les services sociaux et le développement collectif.
- d’assurer des réparations tout en garantissant la construction d’une économie viable.
- de satisfaire les besoins des victimes tout en reconnaissant qu’il est dans leur intérêt que ceux qui les ont fait souffrir puissent être réintégrés dans la société’’. (Institut pour la Justice et la Réconciliation 2005, p.1)

BIBLIOGRAPHIE

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Gasibirege S., L’élection des juges Inyangamugayo : rupture ou continuité, Cahiers du Centre de Gestion des Conflits n°6, nov.2002, pp.93-127
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